Forfait jour Syntec, explication et jurisprudences
NOTE : Cet article a été remplacé par un plus récent, disponible ici !
Petit aparté : j’ouvre une nouvelle catégorie sur le blog : le Droit. Si vous suivez un peu mon blog, vous avez peut-être déjà lu quelques articles sur le droit, en particulier celui du travail.
POINT IMPORTANT : Cet article ne s’applique qu’à la convention collective Syntec. Les autres conventions ayant mis en place des forfaits jours reposent sur d’autres règles qui n’ont strictement rien à voir.
J’ai rencontré, par le biais de mes connaissances, le cas du « forfait jour » à plusieurs reprises dans le cadre d’entreprises en convention collective Syntec. Le cadre autonome au forfait jour semble être la solution à tous les problèmes des entreprises. Pas d’heures supplémentaires à payer, le cadre s’organise comme il l’entend, etc.
Mais de quoi s’agit-il réellement ?
Personnellement, j’ai trouvé cette notion de cadre autonome très floue et j’ai voulu en savoir plus, notamment ce que cela implique et dans quel cas ces contrats sont valides ou invalides selon la Syntec et les jurisprudences en cours.
Définition Syntec
Ce n’est pas simple de s’y retrouver pour les néophytes tant la convention collective Syntec est décousue. Il y a tous les articles d’un côté, puis les annexes… Un vrai bazar !
La Syntec, très couramment appliquée dans les sociétés du numérique, propose 3 types de contrats de travail (voir l’annexe 7), appelées modalités :
- La modalité standard (1), qui est en fait une application classique des 35 heures.
- La modalité dite de « réalisation de missions » (2), qui est assez souvent appliquée pour les ingénieurs en SSII/ESN car plus souple que les 35 heures. Il s’agit d’une adaptation des 35 heures dans lesquelles un contingent d’heures supplémentaires non rémunérées est inclus, à hauteur de 10% par semaine, contre une revalorisation des minima de 15% supérieure ET un salaire mensuel au moins égal au PMSS.
- La modalité dite de « réalisation de missions avec autonomie complète » (3), qui est le vrai forfait en jour pour les cadres dirigeants.
A noter : la modalité 2 est parfois confondue par les salariés avec le « forfait jour » car elle fait mention d’un « nombre de jours maximum travaillés dans l’année ». Pour autant, il s’agit bien d’un forfait en heures et donc potentiellement générateur d’heures supplémentaires. Certaines entreprises que j’ai pu rencontrer laissent planer le flou…
« En bonne intelligence »
Vous trouverez également une notice assez bien faite sur les 2 types de forfaits qui existent (heures et jours) sur le site de travail-emploi.gouv.fr (et plus digeste que Legifrance !).
Conditions pour bénéficier de la modalité 3
OK, nous connaissons maintenant les 3 types de contrats existants. Maintenant, ça se complique.
Il pourrait être tentant au premier abord de mettre tous les cadres au forfait jours sans se poser de questions. En 2015, le Monde indiquait que près de 1,5 millions de cadres étaient concernés !
La Syntec a cependant instauré un certain nombre de conditions et d’obligations pour l’employeur, en plus de ce que dit le code du Travail.
Ce qu’en dit le code du travail
Pour les cadres mentionnés à l’article L. 3121-38, la convention ou l’accord collectif de travail qui prévoit la conclusion de conventions de forfait en jours fixe le nombre de jours travaillés. Ce nombre ne peut dépasser le plafond de deux cent dix-huit jours.
Cette convention ou cet accord prévoit :
- Les catégories de cadres intéressés au regard de leur autonomie dans l’organisation de leur emploi du temps ;
- Les modalités de décompte des journées et des demi-journées travaillées et de prise des journées ou demi-journées de repos ;
- Les conditions de contrôle de son application ;
- Des modalités de suivi de l’organisation du travail des salariés concernés, de l’amplitude de leurs journées d’activité et de la charge de travail qui en résulte.
Vous pouvez retrouver le texte complet sur Legifrance.
Les forfaits en jours sont donc limités au maximum à 217 jours par an (+1 avec le jour de solidarité donc 218). Ils peuvent néanmoins être diminués par accord ou convention collective.
Ce qu’en dit la Syntec
Au-delà du seul code du travail, la Syntec est venu ajouter des conditions supplémentaires pour restreindre l’usage de la modalité 3 :
Pour pouvoir relever de ces modalités, les collaborateurs concernés doivent obligatoirement disposer de la plus large autonomie d’initiative […]
Ils doivent donc
- disposer d’une grande latitude dans leur organisation du travail et la gestion de leur temps
- et doivent également bénéficier
- de la position 3 de la convention collective (en général les positions 3.2 et 3.3 et dans certains cas 3.1)
- ou avoir une rémunération annuelle supérieure à 2 fois le plafond annuel de la sécurité sociale
- ou être mandataire social
En plus des 3 règles énoncées ci dessus en terme de rémunération, les minima sont également majorés à 120 % pour les cadres en modalité 3.
En clair, quelles sont les conditions ?
Il y a donc plusieurs façons de vérifier si un salarié est éligible ou non au forfait jour dans un entreprise Syntec.
Classification
D’abord, le plus rapide à vérifier : la classification. La Syntec est claire sur les règles d’éligibilité, il faut être cadre 3.1 au minimum (ou bénéficier d’une rémunération égale à 2 fois le PMSS mais on en parlera plus tard). Force est de constater aujourd’hui que dans mon entourage, un certain nombre d’entreprises utilisent le forfait jour en dehors de cette disposition Syntec.
Point important à prendre en compte quand on parle de la classification : elle obéit à des critères objectifs de diplômes, d’âge, d’expérience et de responsabilité. N’est pas cadre 3.1 qui veut ! Tout est décrit dans l’annexe 2 de la Syntec, qui détaille également les appointements minimaux.
Des salariés au forfait jour en ont fait l’expérience aux prud’hommes. En modalité 3 Syntec, ces salariés demandaient un rappel de salaire équivalent à celui d’un cadre 3.X alors que leurs contrats stipulaient qu’ils appartenaient aux positions 2.X.
Contrairement à cette lecture, les magistrats ont estimés qu’il n’y avait pas lieu de rattraper les salaires de ces employés car ils ne répondaient pas aux critères permettant d’accéder à la position 3.1. Ils n’étaient donc pas éligibles au forfait jours (et donc au rappel de salaire consécutif), qui a été annulé.
« qu’en statuant ainsi, alors qu’elle avait constaté que le salarié qui avait moins de six ans de pratique en qualité de cadre, ne pouvait être classé à la position 3.1, ce dont il se déduisait qu’il n’était pas susceptible de relever du régime du forfait jours qui lui avait été appliqué, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé les textes susvisés. » (Cass. Soc.3 novembre 2011, n°10-14638 et 10-14637).
« La cour d’appel, qui a constaté que le salarié ne rapportait pas la preuve de ce qu’il occupait réellement des fonctions correspondant à la position 3.1, a exactement décidé que le bénéfice d’une rémunération supérieure au double du plafond annuel de la sécurité sociale ou le classement à la position 3 de la classification des cadres constituent des critères possibles permettant de ranger un cadre parmi ceux définis à l’article 4 de l’accord du 22 juin 1999 en vue de lui appliquer un régime forfaitaire de durée du travail mais ne sauraient être interprétés comme une obligation d’assurer une telle rémunération ou une telle classification à un cadre n’entrant pas dans le champ d’application de cet article. »
Cass. Soc.3 novembre 2011, n°10-20191
Rémunération
Maintenant qu’on a bien en tête mes problématiques de classification, on peut s’intéresser aux minima. Depuis cet été, les minima (qui n’avaient pas été réévalués depuis 2014) ont été augmentés :
Positions (coeff.) | Valeur du point | Salaires minimaux brut mensuels | PMSS 2017 | ||
Modalité | 1 (standard 100%) | 2 (meilleur entre 115% et PMSS) | 3 (meilleur entre 120% et 2xPMSS) | 3269,00 € | |
1.1 (95) | 20,51 | 1948,45 € | 3269,00 € | 2xPMSS 2017 | |
1.2 (100) | 20,51 | 2051,00 € | 3269,00 € | 6538,00 € | |
2.1 (105) | 20,51 | 2153,55 € | 3269,00 € | ||
2.1 (115) | 20,51 | 2358,65 € | 3269,00 € | ||
2.2 (130) | 20,51 | 2666,30 € | 3269,00 € | ||
2.3 (150) | 20,51 | 3076,50 € | 3537,98 € | ||
3.1 (170) | 20,43 | 3473,10 € | 3994,07 € | 6538,00 € | |
3.2 (210) | 20,43 | 4290,30 € | 4933,85 € | 6538,00 € | |
3.3 (270) | 20,43 | 5516,10 € | 6343,52 € | 6619,32 € |
Pour information, le PMSS 2017 se situe à 3269 €. Multiplié par 2 et ramené à l’année cela correspond à une rémunération de 78456 € bruts annuels. Cette somme très importante n’a aucun rapport avec les salaires d’ingénieurs sortis d’école qui bénéficient pourtant parfois de forfaits en jours via la Syntec…
Pour autant, une fois encore, la jurisprudence tend plutôt à annuler le forfait jours plutôt qu’accorder des rappels de salaires…
S’affranchir du PMSS
Certains employeurs proposent, par le biais d’un accord collectif d’entreprise signé par les syndicats, de modifier ces deux conditions d’entrée en modalité 3.
Je suis sceptique face à ce genre d’accords : jusqu’aux très récentes ordonnances dites Travail/Macron de cette année, il ne me semble pas qu’il était possible de déroger aux minima imposés par un accord de branche avec un accord d’entreprise. A vérifier, c’est peut être une erreur d’interprétation de ma part…
Article L2253-3 sur Légifrance
« En matière de salaires minima, […] un accord d’entreprise ou d’établissement ne peut comporter des clauses dérogeant à celles des conventions de branche […] »
Quoiqu’il en soit, ce point de doute sera bientôt de l’histoire ancienne puisque les ordonnances ont chamboulé tout ça :
Conformément au IV de l’article 16 de l’ordonnance n° 2017-1385 du 22 septembre 2017, pour l’application du présent article, les clauses des accords de branche, quelle que soit leur date de conclusion, cessent de produire leurs effets vis-à-vis des accords d’entreprise à compter du 1er janvier 2018.
Autonomie
Le dernier critère, pas seulement applicable à la Syntec, mais aussi dans le code du travail, est l’autonomie.
On l’a vu au début de l’article, ce point est capital et les deux textes insistent lourdement là dessus.
Les cadres qui disposent d’une autonomie dans l’organisation de leur emploi du temps et dont la nature des fonctions ne les conduit pas à suivre l’horaire collectif applicable au sein de l’atelier, du service ou de l’équipe auquel ils sont intégrés ;
Les salariés dont la durée du temps de travail ne peut être prédéterminée et qui disposent d’une réelle autonomie dans l’organisation de leur emploi du temps pour l’exercice des responsabilités qui leur sont confiées.
Cependant c’est aussi le plus subjectif ou soumis à interprétation, car il n’existe pas de définition légale de ce qu’est l’autonomie. Deux questions me viennent à l’esprit :
- Est ce qu’un ingénieur, piloté par un chef de projet, mais qui a toute latitude pour exécuter les tâches qu’on lui donne et dans l’ordre qu’il le souhaite, est considéré autonome ?
- Est ce qu’un salarié dont les congés sont déterminés ou annulés par son supérieur peut être au forfait jour ?
Quelques avis sur la question, notamment sur l’organisation des jours de travail et de repos :
La prise des jours RTT est généralement définie par l’accord d’entreprise. Il définit aussi la période de référence qui est souvent l’année civile. Généralement ces jours de RTT sont acquis par avance (anticipation) mais leur prise reste soumise à l’accord préalable du chef d’entreprise, comme pour les congés payés. – CGT UGICT
[…] la cour d’appel avait constaté que l’emploi du temps du salarié était déterminé par la direction et le supérieur hiérarchique de l’intéressé, lesquels définissaient le planning de ses interventions auprès des clients, et que le salarié ne disposait pas du libre choix de ses repos hebdomadaires, ce dont il se déduisait que, ne bénéficiant d’aucune liberté dans l’organisation de son travail, le salarié n’était pas susceptible de relever du régime de forfait en jours
– Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 31 octobre 2007, 06-43.876
Modalités supplémentaires
A noter, il existe également plusieurs obligations faites à l’employeur :
- Le passage au forfait jour doit faire l’objet d’un avenant au contrat du cadre, qui par définition peut le refuser
- Le cadre doit bénéficier de plusieurs entretiens annuels, notamment pour valider que sa charge de travail n’est pas importante, que les repos quotidiens et le repos hebdomadaires sont bien respectés, etc. La fréquence de ces entretiens est bi-annuelle depuis 2014
Conséquences d’une hypothétique annulation du forfait en jours
Je l’ai déjà dit, on voit bien avec les arrêts des cours tendent plutôt à annuler les forfaits jours plutôt qu’accorder des rappels de salaires.
Pour autant, cela peut quand même avoir des conséquences pour l’employeur. En effet, une fois son forfait annulé, le salarié repasse dans les 35 heures (modalité 1 ou 2 selon ce qui se fait dans l’entreprise). Il peut donc demander un rappel de toutes les heures supplémentaires qu’il a effectué dans une limite de 3 ans.
On pourrait penser qu’elles ne peuvent pas être réclamées. Le cadre, précédemment réputé au forfait jour, ne peut pas justifier des heures supplémentaires qu’il aurait pu réalisé, puisqu’il n’est pas soumis au contrôle horaire.
Cependant, il s’avère que la jurisprudence ne demande pas aux salariés de fournir une preuve complexe. Par exemple, dans le cas d’une veilleuse de nuit qui réclamait des heures supplémentaires non payées suite à un licenciement, un simple décompte des heures supplémentaires réalisées noté sur un papier a été considéré comme suffisant !
En cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié d’étayer sa demande par la production de tous éléments suffisamment précis pour permettre à l’employeur de répondre en apportant, le cas échéant, la preuve contraire.
Dès lors doit être cassé l’arrêt qui pour rejeter une demande en paiement d’heures complémentaires retient que le salarié ne produit pas d’éléments de nature à étayer sa demande lorsqu’il verse aux débats un décompte établi au crayon, calculé mois par mois, sans autre explication ni indication complémentaire, alors que ce document permettait à l’employeur d’y répondre.
Charge à l’employeur d’apporter la preuve que l’employé n’a pas réalisé les heures supplémentaires qu’il prétend avoir faites. Et sans contrôle horaire, ça me parait compliqué à prouver.
Sources :
Bonus : un peu d’histoire
En 2011, c’est la panique !
L’examen de la validité du forfait jour dans le cadre de la convention collective métallurgie donne lieu à une jurisprudence qui est venu gripper les autres conventions collectives proposant cette disposition :
[…] toute convention de forfait en jours doit être prévue par un accord collectif dont les stipulations assurent la garantie du respect des durées maximales de travail ainsi que des repos, journaliers et hebdomadaires ;
Si Métallurgie n’est elle pas épinglée car ayant mis en place des dispositifs jugés suffisants, de nombreuses conventions ne sont elles pas conformes et ne garantissent pas ce respect.
C’est notamment le cas de la Syntec : comme toutes les conventions collectives qui ne prévoyaient pas de suivi des employés pour garantir que la charge de travail n’est pas trop importante, tous les contrats au forfait jours risquaient de se voir annulés :
« […] ni les dispositions [de la Syntec] ni les stipulations [des accords d’entreprise], ne sont de nature à garantir que l’amplitude et la charge de travail restent raisonnables et assurent une bonne répartition, dans le temps, du travail de l’intéressé, et, donc, à assurer la protection de la sécurité et de la santé du salarié, ce dont elle aurait dû déduire que la convention de forfait en jours était nulle »
Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 24 avril 2013, 11-28.398
En catastrophe, le 1er avril 2014, un accord a été conclu pour ajouter des mesures manquantes et ainsi garantir la viabilité du dispositif de forfait en jours dans la Syntec.