Quelle question…
Je pense que c’est pas trop un mystère, j’aime bien partager mes passions. Mon but avoué : à mon humble niveau, j’espère être utile, aider les autres, leur apprendre des trucs.
Pour ce qui est du blog, je me suis déjà exprimé sur la quantité de travail que ça représente pour chaque article. Mais mon “activité” de speaker est suffisamment récente pour que j’en aie peu parlé.
Ça a pas mal ragé sur les conférences, les conférenciers, les orgas et même les speakers ces derniers temps sur Twitter et j’ai attendu que les dramas se calment un peu pour ramener ma fraise.
Du coup je vous propose aujourd’hui de vous montrer l’envers du décor, côté speaker, cette fois. Je vais juste vous donner mon sentiment et décrire chacune des étapes dans la conception d’un sujet, tel que moi je le fais.
Prêts ? Alors c’est parti !
Trouver un sujet
Ça parait bête mais avant de postuler à une conférence, encore faut-il avoir un sujet. Heureusement, l’informatique est suffisamment vaste pour qu’on puisse trouver un nouveau sujet tous les jours… comme pour le blog, il me suffit souvent de m’inspirer de mon travail (ou de sides projects, passions, etc).
Cependant, aussi agréable que je puisse être (quoique ? :-p), on ne va pas juste me prendre pour ma bonne bouille. Je communique assez peu dessus (et je pense que c’est le cas de beaucoup d’autres “speakers”), mais le nombre de fois où je suis “recalé” est bien plus important que le nombre de fois où je suis pris.
Dans mon cas perso, au début, on était pas loin d’un ratio 1 pour 10 (voire 1 pour 20 si on compte que je propose toujours 2 talks par conf). Aujourd’hui, c’est mieux mais c’est globalement le même ordre de grandeur. Si je tweetais à chaque fois que je suis pas pris, ça serait vraiment super chi**t.
Pour maximiser mes chances de pouvoir venir vous parler d’un sujet que j’ai envie de partager, je dois donc faire deux choses :
- essayer d’avoir un pool de sujets récents, avec des thématiques diverses pour couvrir plusieurs types de conférences
- mais surtout restreindre mon imagination foisonnante aux sujets que j’estime avoir une chance significative de passer
Souvent ça se passe quand je suis seul et que je n’ai pas de distraction (par exemple, dans les transports).
J’essaye, mentalement, de voir ce que j’aurai envie d’exprimer si jamais je retenais ce sujet, si j’ai une idée de pitch, quelques punchlines, etc. Parfois, quand j’ai un doute, je demande à mes proches ce qu’ils en pensent (généralement c’est ma femme qui s’y colle, la pauvre… 🙃).
Dans cette phase de présélection, je dirais que pour un seul sujet que je retiens, je passe deux heures à évaluer plusieurs idées.
Rédiger le pitch
Le sujet a l’air cohérent et je pense pouvoir sortir quelque chose de correct.
Le but du jeu maintenant, c’est de trouver un titre et un pitch suffisamment accrocheurs pour donner envie aux organisateurs de conférences d’envisager le retenir.
Certaines confs reçoivent beaucoup de propositions de talks vraiment incroyables. Pour avoir une chance d’être a minima shortlisté, il faut vraiment quelque chose de catchy (mais pas clickbait), drôle (mais pas potache), dont on se souvienne lors des délibérations (mais pas en mal).
Souvent, j’essaye de trouver un jeu de mot pour le titre (bien que certains organisateurs le déconseillent fortement) et de créer un peu de suspense dans le pitch. Parfois, pour un talk que j’ai déjà envoyé, il m’arrive de retoucher le pitch mais c’est rare, souvent à la marge. Cette partie est finalement la plus “réutilisable” du talk (on en reparlera).
Une fois que j’en suis content, je soumets le titre + pitch à des pairs. Des copains speakers, des collègues qui connaissent le sujet, ma femme (encore elle). Il y a très souvent des retours. Une fois, j’ai du tout réécrire. Souvent c’est juste des corrections de fautes d’orthographe (ouf).
En comptant les relectures, je dirais que cette étape prend elle aussi, pour un sujet donné, deux heures.
Postuler
Je l’ai déjà dit plus haut, même avec la meilleure bouille, la meilleure idée de conf et le meilleur pitch, il est peu probable que pour un sujet donné et une conférence donnée vous soyez pris.
La plupart des conférences limitent le nombre de talk proposé par speaker à 2 voire 3. Et les processus de CFP sont relativement longs (c’est bien normal) entre le moment où vous postulez et le moment où la conf à lieu. Si vous attendez de savoir si vous êtes pris ou non à une conf avant de postuler à une autre, vous avez toutes les chances que le sujet soit obsolète avant d’avoir été pris quelque part !
La seule solution pour améliorer (statistiquement) ses chances d’être pris quelque part est donc de postuler à plusieurs conférences.
Sauf que, postuler à plusieurs conférences, ça prend un temps fou. Même si beaucoup de conférences utilisent sessionize et conference-hall, il est rare qu’on puisse copier coller un sujet + pitch + bio du speaker tel quel d’une conf à l’autre. Globalement, prendre le temps de réécrire, adapter, cocher les bonnes catégories/tags, tout vérifier, prendre le temps de faire un petit mot de remerciement aux organisateurs pour le temps qu’ils prennent pour l’événement, ça prend environ 20-30 minutes.
Pour certains de mes talks où je n’ai été pris qu’une fois, j’ai postulé au moins 5 fois. Ça fait environ deux heures de plus, par talk retenu, rien que pour postuler. Et même si le talk est pris plusieurs fois, le temps pour postuler reste linéaire.
Préparer le talk
Si vous avez suivi, on en est déjà à 6 heures de boulot alors qu’on a été pris nulle part…
… et qu’on a pas encore écrit le moindre support.
Wait… what?
Ça en surprendra certains et en fera grincer des dents certains autres (j’espère ne pas me faire blacklister des confs… oups…), mais sauf exception, je ne rédige pas de support avant d’avoir été pris quelque part.
Je le faisais au début, mais :
- l’amertume est trop grande quand le sujet n’est pris nulle part alors qu’on y a mis tout son cœur (et ça arrive)
- ce n’est pas nécessaire pour faire un talk de qualité
D’expérience, on a assez de temps entre le moment où on sait qu’on est pris et le moment où on fait le talk pour préparer un support.
En revanche, je commence déjà à me documenter et à faire une veille plus poussée sur ce sujet en particulier. Tous les liens en rapport avec le sujet que je croise sur les réseaux sociaux, je les garde précieusement. Toutes les idées qui me viennent à l’esprit, je les note au fur et à mesure.
C’est du temps gagné par la suite et ça suffit pour faire un bon support dans les temps.
Le support lui-même
Quand enfin, miracle, mon sujet est pris quelque part ! Les choses sérieuses commencent.
Je rassemble toutes les docs que j’ai pu lire sur le sujet et toutes les notes précédentes. Je commence à rédiger un plan (en gros, juste un titre de chaque slide, pour chaque idée) puis je complète avec du contenu, des mèmes (style perso), des schémas…
Grosso modo, je pense que la rédaction d’un support prend environ une dizaine d’heures, veille inclue (ce dont je parle précédemment).
Notez que je n’ai pas parlé de la longueur des confs (lightning 15 ou 20 minutes, tools in action en 30m, conférence de 40m à 1h).
En réalité, même si un lightning talk contient moins de contenu (en slides comme en temps de parole), il est beaucoup plus difficile de condenser le savoir qu’on veut véhiculer en si peu de temps. La recherche de la moindre optimisation prend énormément de temps. Au final, je pense que la durée de préparation est la même.
Je passe volontairement sur la logistique (billets de train + hôtels, s’organiser côté vie perso pour être absent, car je suis papa avant d’être speaker, etc), mais c’est aussi à prendre en compte.
S’entrainer
Une fois la conférence prête, il faut voir si le talk “fonctionne”. Est-ce que la quantité de chose que j’ai à dire rentre dans le temps imparti.
Souvent ce n’est pas le cas et je déborde. Pour garder du temps pour les questions (50% de l’intérêt d’une conférence) il faut donc tester, c’est-à-dire “faire le talk” en entier, sans interruptions.
Je le fais une ou deux fois seul, je m’enregistre. Parfois je me réécoute pour voir ce que ça donne.
Ensuite, je fais les premiers ajustements (aka : je vire des slides/du contenu). Quand je peux, j’essaye ensuite de le refaire devant des collègues (ou ma femme), pour tester le talk en conditions quasi réelles.
Je corrige les typos restantes et je tiens compte de leurs remarques.
Le soir précédant la conférence, sauf circonstances m’empêchant de le faire, je révise toujours le talk une dernière fois, pour me rassurer plus qu’autre chose (coucou Aurélie, moi aussi je le fais).
Mis bout à bout, entre les tests seuls et les tests avec des collègues et les ajustements, on peut quasiment compter cinq heures supplémentaires.
Le SAV
Houra, le talk s’est bien passé. Les gens ont posé plein de questions. C’était trop bien.
Sauf que juste après la conférence, ou un peu après sur les réseaux sociaux, j’ai souvent des retours.
Les gens demandent des précisions ou ont des suggestions d’améliorations. Certains remontent des typos (souvent réintroduites à cause d’un changement de dernière minute, ce qui est toujours une mauvaise idée, mais je n’arrive pas à m’en empêcher). J’essaye de répondre à tout le monde, c’est le moment le plus agréable du talk.
En “travail pur”, on peut facilement rajouter deux heures de “SAV”, juste après la conf.
Parfois en discutant avec des pairs, je me rends compte que je suis passé complètement à côté d’une partie du sujet et que ça mériterait d’être ajouté. Si jamais j’ai postulé ailleurs, j’ai donc souvent plusieurs heures de travail de plus, post conférence, pour remettre le sujet au propre, pour la prochaine fois. Et autant de veille sur le sujet, de ré-entrainement, etc. Un sujet de conf, c’est vivant.
Conclusion(s)
D’abord, j’espère que vous avez maintenant une vision plus claire de la quantité de travail qu’il faut fournir pour postuler puis préparer un sujet dans une conférence. Mis bout à bout, j’en ai donc a minima 20-25h de travail (pour 15 à 40 minutes de résultat visible !).
Contrairement à la légende urbaine qui voudrait faire croire que les speakers postulent à plusieurs conférences pour “rentabiliser” leurs talks, j’espère vous avoir prouvé que même si le support est en bonne partie réutilisable, il y a au moins une grosse moitié du travail à refaire si je re-postule ailleurs.
Ce n’est donc pas vraiment “rentable”, sans parler du fait que cette croyance est totalement saugrenue…
Ensuite, je n’ai pas pris le temps de m’attarder sur les raisons qui me poussent à fournir cet effort, ça sera peut-être dit à l’occasion d’un autre article.
Enfin, pour finir cet article, je voudrais dire à ceux que ça “intimide” le taf de speaker que je ne suis pas une machine. Je ne pourrais pas faire tout ça si jamais “être speaker” ne faisait pas (partiellement) partie de mon travail.
Les entreprises pour lesquelles j’ai travaillé ces 5 dernières années m’autorisent à préparer des talks sur mon temps de travail et c’est la seule raison qui me permet d’en préparer (sauf à faire de la m***e mais c’est contre toutes mes valeurs).
Je ne me sens pas capable d’ajouter toutes ces tâches sur du temps personnel (déjà chargé) et ne vous sentez pas “nuls” de ne pas être capable d’être d’investir le temps pour être speaker si vous n’avez pas la même “chance” que moi.