Mais ce n’est pas un post technique, ça !?!
Lorsque j’ai commencé ce blog il y a quelques années, j’avais dis que je n’écrirais pas de « billets d’humeur » et me concentrerais sur les sujets techniques peu traités par les autres blogueurs IT Francophone.
Je me garderais de donner mon opinion pour ne pas déclencher de flame wars.
Mais hier soir je suis tombé sur ce tweet du très bon Léo Grasset qui anime (entre autre) la chaine Youtube Dirty Biology :
Le tweet pointe sur un article de blog S.I.Lex de Calimaq et qui relate l’histoire d’une BD sous licence Creative Commons. Je ne défendrai pas l’article en lui même, l’auteur s’en charge.
De quoi s’agit-il ?
D’un comic sur le net, Pepper & Carrot, disponible gratuitement via une licence libre.
Tous les épisodes de Pepper & Carrot sont publiés en libre accès sur Internet via le site de David Revoy et ils ont été placés depuis l’origine sous la licence Creative Commons BY (Paternité). Celle-ci est très ouverte, puisqu’elle autorise toutes les formes de réutilisation (y compris à caractère commercial) à condition de citer le nom de l’auteur.
–Calimaq
Là où d’autres auteurs du web sont furieux, c’est surtout parce que Glénat profite de cette licence très ouverte pour faire un tirage de ces planches et sur lequel l’auteur ne reçoit pas un centime (normal, les sources sont libres de droits).
[Edit]Manque de clarté : il s’agit des auteurs « autres » qui ont réagit en commentaire de l’article de Calimaq, donc Béhé, BouletCorp, … Ce n’est ni Calimaq, ni David Revoy, l’auteur de Pepper & Carrot pourtant le seul concerné[/Edit]
Et pour faire genre ils sont sympas chez Glénat et se faire de la bonne publicité, ils donnent symboliquement à chaque publication nouvelle et selon leur bon vouloir (mécénat).
Mais pas seulement. Je ne peux m’empêcher de réagir quand je vois les réactions (presque violentes) de plusieurs auteurs qui ont commentés pas seulement l’article en lui même mais aussi la démarche « libriste » de son auteur David Revoy, que moi je trouve admirable.
Et là c’est le drame
Franchement en lisant le tweet de DBY, je n’ai même pas compris le problème au début. L’article est plutôt flatteur face à l’initiative (peut être un peu trop?) et je n’arrivais pas à comprendre pourquoi Léo GRASSET avait mis le #entubage. En réalité, je n’arrivais pas à imaginer qu’on puisse voir cette initiative d’un mauvais œil !
Et puis j’ai lu les commentaires.
Un petit « best of »
Je ne remets aucunement en cause les motivations de l’auteur [ahaha, mon œil, attendez la suite] (c’est un combat qui s’apparente au mieux à une révolte contre l’économie du livre tel qu’il est, ou à une résistance au marché, au pire à un sacrifice à la passion ou une servitude volontaire)
- Béhé
[à propos du droit d’auteur]Le recul il est là : la concurrence est telle que les auteurs réussissent à foutre en l’air le seul outil qui leur permettait de faire respecter quelques droits.
- Béhé
D’un côté, on a un auteur qui a créé un univers et qui bosse comme un fou pour pas grand chose, malgré son succès
- Audrey A.
Un investissement sans limites de cet auteur passionné doublé d’un combat quasi politique pro « Open Source » (alors que sous couvert de modernité, on est juste revenu sur la place du marché en plein moyen âge quand les saltimbanques essayaient de vivre des pièces jetées par les passants).
- Audrey A.
Pour ma part il me fait penser à un trader qui liquiderait son portefeuille d’actions la veille d’un crash boursier : à titre individuel il tire son épingle du jeu et on pourrait l’en féliciter mais si on adopte un point de vue plus large on réalise qu’il contribue à accélérer un processus qui laisse tous les autres sur le carreau.
- Emlyn
Je résume & simplifie : l’auteur est donc un militant de l’open source qui se fait entuber par une maison d’édition qui fait de l’argent sur son dos. Ce monsieur contribue à renvoyer au moyen âge les artistes qui finiront à la rue dans les années qui viennent.
Je ne citerai même pas le condescendant BouletCorp (gratuitement en plus) qui a carrément écrit un e-mail à David Revoy pour lui expliquer à quel point il est sot (mais met quand même une copie du mail publiquement dans les commentaires histoire d’enfoncer un peu le clou).
Et l’article de Calimaq dans l’histoire ?
Tous les auteurs sont d’accord sur un point : Calimaq (l’auteur de l’article sur S.I.Lex) n’a rien compris !
Je suis un peu consternée par cet article qui témoigne quand même d’une méconnaissance de l’économie du livre assez monumentale
Je rétorquerais donc à nos amis auteurs que si (moi) je n’ai assurément pas la connaissance qu’ils ont de l’économie du livre, je suis pour ma part consterné par leur méconnaissance du monde libre. ;-)
Je pense qu’ils n’ont pas compris la démarche « libre » dans leur ensemble (pas seulement cet auteur donc), que ce soit la Creative Commons ou les alternatives Open Source ou Libre. Et c’est d’autant plus dommage en cette période d’actualité sur les dérives du droit d’auteur.
Je vais donc tenter de détailler un peu ce point en particulier.
Mon avis sur les licences CC et « le combat quasi politique pro Open Source »
A vrai dire, je ne sais pas pourquoi j’ai été surpris. Car cette attitude de défiance et d’incompréhension, je l’ai vécu et continue de la vivre tous les jours :
Pourquoi tu contribues au logiciel Open Source d’un autre ? C’est du travail jeter en l’air pour ne rien gagner !
Pourquoi développes-tu un logiciel Open Source ? Pourquoi fourni tu du support gratuitement à ta communauté ? Tu ferais mieux de le commercialiser : tu te rend compte de tout l’argent que tu perds/pourrais gagner?
Je ne comprend pas ces gens qui mettent à disposition du code source sur Internet ! Des grosses entreprises vont le reprendre et faire de l’argent sur le dos de l’auteur, qui n’aura rien !
A l’instar de ces phrases entendues IRL, les auteurs qui commentent l’article sur S.I.Lex ne parlent QUE d’argent.
A en croire que c’est la raison d’être de la création : faire le plus d’argent possible… Vraiment ?
Et là où Calimaq à tort à mon avis, c’est lorsqu’il entre dans ce jeu et tente de justifier économiquement le choix de l’auteur de la BD.
Alors qu’en réalité, dans ce genre de cas, il n’est pas question d’argent, de rentabilité, de rémunérer l’auteur à la juste hauteur de son travail.
On n’est sur des considérations totalement autre ! L’idée, c’est de mettre à disposition du public un univers et de le faire vivre en dehors du droit d’auteur, bien souvent trop « privateur » (et voilà : on va me traiter de militant politique pro open source maintenant).
Monde libre vs Copyright
Et du coup ça me donne une belle transition : je repense à la dernière vidéo de Léo GRASSET (DBY).
L’auteur de la vidéo nous parle de sciences citoyennes en faisant le parallèle avec Pokemon Go. Son frère (bon graphiste) incruste des animations de Pokemons… qui sont très probablement soumis au droit d’auteur !
Voilà un bel exemple de l’apport d’une licence libre sur le copyright : si Pokemon était libre de droits, DBY pourrait ajouter des Pokemons dans ces vidéos sans demander le droit préalable à « The Pokemon Company » (je simplifie volontairement les exceptions au droit d’auteur).
Dans le cadre du droit d’auteur, on pourrait imaginer que « The Pokemon Company » pourrait imposer à Dirty Biology le versement d’un compensation financière pour avoir le droit d’incruster des Pokemon (potentiellement importante) et qui aurait contraint Léo GRASSET à abandonner son idée de vidéo pourtant très bonne.
A l’inverse, moi, j’ai mis le logo de Pepper & Carrot sur cet article. La seule chose que j’ai à faire, c’est cite que l’auteur est David Revoy. Pas de contraintes de droit d’auteur, pas de notions de rémunération.
Pour ceux qui veulent creuser un peu plus loin ce point, la fondation Mozilla en parle beaucoup mieux que moi.
Autre exemple un peu facile mais que je met quand même pour le fun
J’ai envie de faire un parallèle avec un domaine que je connais mieux : l’informatique.
Linus Torvalds
Auteur il y a 25 ans d’un système d’exploitation libre (un « hobby » à la base, just saying) mis à disposition gratuitement.
Redhat
Premier éditeur de solution Open Source au monde, avec un CA annuel de 2 milliards de $.
A première vue, si on se met des œillères, c’est des gens qui vendent des logiciels gratuits.
En fait, en réalité, c’est aujourd’hui un des plus gros moteurs de l’open source au monde (sans que ce soit des philanthropes, hein, ils font du business, nous sommes d’accord).
Et avec les bénéfices qu’ils font en fournissant du support sur ces « logiciels gratuits », ils peuvent :
- Contribuer à corriger/sécuriser le code de nombreux projets Open Source pour le rendre plus robuste et plus sûr
- Investir en R&D pour améliorer les solutions Open Source existantes
- Développeur de nouvelles solutions Open Source
- Employer des milliers de personnes dans le monde (accessoirement)
Le rapport entre les deux ?
Redhat n’aurait jamais existé si Linus Torvalds n’avait pas mis à disposition gratuitement son « hobby », Linux.
Et le rapport avec Pepper & Carrot ?
Et si je fais le parallèle avec l’histoire de Pepper & Carrot et que j’applique le raisonnement de BouletCorp et consorts on obtient :
Linus Torvalds a bossé comme un fou pour pas grand chose
Redhat fait de l’argent sur le dos de Linus Torvalds
Linus Torvalds contribue à foutre sur le carreau les développeurs informatiques
Aucunes de ces phrases n’ont de sens.
Le monde libre
Au delà de Linux et Redhat, l’open source a changé ma façon de travailler. Celle de millions de gens dans le monde aussi (particuliers, écoles, associations, entreprises, développeurs, chercheurs, …), mais je suis surtout mieux placé pour parler de moi.
Et soutenir les initiatives libres ne m’empêche pas d’utiliser des logiciels propriétaires par facilité ou lorsque les alternatives Open Source ne sont pas à la hauteur. L’un n’empêche pas l’autre.
Toute démarche libre/open source à ses implications (et le droit d’auteur aussi !). Elles sont différentes selon la licence choisie et les auteurs qui font le choix d’une licence libre doivent bien sûr le faire en connaissance de cause.
En tant qu’auteur (selon la législation du droit d’auteur Français, tout ce que je créé est par défaut soumis au droit d’auteur), en fonction du contexte, je sais choisir entre :
- mon droit d’auteur classique quand je fais un montage vidéo, quand je créé une image humoristique, quand j’écris un article de blog
- une licence un peu solide comme la GPLv3 lorsque je souhaite contribuer du code en sachant qu’il sera peut être complexe pour un outil commercial de réutiliser mon code dans certains cas particuliers
- des licences plus souples lorsque j’accepte (et même aimerait) que mon travail soit diffusé. Même dans un cadre commercial où des gens se feront peut être « de l’argent sur mon dos »
Pourquoi tant de haine ?
Cette posture agressive et cette montée aux créneaux immédiate de ces quelques auteurs du web sur cet article traduit pour moi un profond malaise entre les auteurs et les éditeurs, qui ont du mal à s’adapter (et adapter le droit d’auteur) au 21ème siècle.
Il n’est pas difficile de comprendre pourquoi des gens ont peur de modèles alternatifs lorsque le modèle actuel n’est déjà pas terrible, de peur que ce soit pire après.
Et à entendre les auteurs, la compétition est rude et il est difficile de se financer en tant qu’auteur. Dans le monde actuel, vouloir faire de l’argent en tant qu’auteur de BD sur une Creative Commons n’est probablement pas la meilleure idée.
Pour autant, je pense que les auteurs qui ont répondus dans le billet de S.I.Lex ont tort de voir une concurrence là où il n’y en a pas.
De ce que je comprendre de « Pepper & Carrot », mais plus généralement des initiatives CC, ce n’est pas la recherche un modèle alternatif pour se financer dans un secteur hautement concurrentiel.
C’est la mise à disposition, pour tout le monde, d’un travail ouvert, partagé.
Bonus
Je n’avais pas compris initialement, mais l’auteur de la BD lui-même a contribué dans les commentaires (deevad) et donne quelques infos supplémentaires dans ce lien.
Bonus 2
Un exemple tout frais de cette semaine des préjugés et de l’incompréhension de ces gens qui sont restés dans le 20ème siècle.
Développeur d’un produit Open Source de partage de fichier révolutionnaire = Pirate.