C’est l’histoire d’un mec
Il y a 11 ans, j’ai rejoint le monde merveilleux du salariat (L-O-L).
Comme beaucoup, j’ai fait toutes les erreurs possibles et imaginables que peut faire un débutant en tout début de carrière. Je trouve qu’on est assez mal armés pour devenir, du jour pour le lendemain, d’étudiant à salarié (et peu importe les stages en entreprise, aussi longs soient-ils).
Du coup, comme je commence à avoir un peu de recul, sans pour autant me sentir vieux au point de ne plus comprendre les nouveaux entrants (aka les 2000), je me dis que vous avez peut-être envie de savoir ce que j’ai appris à ce sujet ?
Et puis après, vous en ferez ce que vous voudrez ;-)
« Vous n’êtes pas prêts »
Loin de moi l’idée de généraliser, mais il est probable que le passage du statut d’étudiant à celui de salarié s’accompagne d’une petite phase de rodage. Surtout si comme moi, on vous a expliqué pendant vos études supérieures que vous étiez l’élite de la nation (oui, un prof a dit ça texto).
Après quelques semaines dans un nouveau job (peut être votre premier), il n’est pas impossible que vous vous sentiez submergé. Vous allez peut-être devoir apprendre à travailler avec des technologies dont vous n’avez jamais entendu parler.
Mais surtout, au-delà de l’aspect technico-technique, vous allez devoir retenir de nouvelles têtes, intégrer la « culture de l’entreprise », les rituels (réunions, méthodes de développement, etc), batailler avec des processus RH, apprendre à lire un bulletin de paie et comprendre les avantages de votre convention collective (enfin ça, ya peut être que moi)…
Vous allez donc baigner dans un tout nouvel environnement, pas que technique, dans lequel vous aurez TOUT à apprendre. Et bien sûr, vous aurez à le faire probablement en grande partie par vous-même (il est rare qu’on vous tienne la main pour tout ce que je viens de citer).
A côté de ça, les gens qui sont là depuis plus longtemps (>1 ou 2 ans, c’est déjà beaucoup par rapport à vous) vont eux être à l’aise sur tous ces sujets. Techniquement, ils auront eu le temps de se mettre à niveau sur toute la stack, mais surtout, ils n’auront plus le stress de tout le reste et pourront se concentrer sur la partie technique de leur travail, là où vous serez encore à jongler mentalement avec 10 problèmes différents.
Il ne faut donc pas s’étonner si vous avez l’impression d’être « nul », que vous n’arrivez pas à vous habituer aux nouveaux outils aussi vite que les autres, que vous perdez du temps sur des choses qui semblent triviales à vos collègues.
La bonne nouvelle, c’est que c’est « normal ».
Sans compter les stages, j’ai travaillé (en interne) dans 4 entreprises différentes. Si ça peut vous rassurer, même après 10 ans d’expérience, c’est toujours aussi stressant. Et particulièrement si vous êtes du genre introvertis ou exigeant avec vous-même (ou mieux, un combo des deux).
You know nothing, Jon Snow (& I think it’s awesome)
Après quelques mois / années, vous allez vous sentir plus à l’aise avec les tâches quotidiennes. Pour autant, il n’est pas impossible que vous commenciez à ressentir ce qu’on appelle communément « le syndrome de l’imposteur ».
Grosso modo, malgré votre expérience, vous allez vous persuader vous-même que vous êtes nul et pas légitime, mais surtout, que tous les gens qui vous disent le contraire se trompent.
Le problème n’est pas tant que vous êtes bon ou mauvais, mais plutôt que vous pensez être nuls par rapport aux autres, qui eux sont des génies qui savent tout faire.
L’image que j’aime le plus pour parler de ça provient du tweet de David Whittaker :
Une partie de la solution consiste donc à réaliser que oui, vous ne savez pas TOUT faire, mais que les autres non plus.
Et finalement, une fois qu’on s’est rassuré et qu’on arrête de se comparer à des super héros imaginaires, c’est quand même très positif.
On peut finalement se dire que dans nos métiers, même après 10-20-30 voire 40 ans d’expérience, il est toujours possible d’apprendre quelque chose chaque semaine et que c’est super cool.
C’est normal de se tromper
Ces dernières années, j’ai eu la « chance » (on provoque aussi sa chance) de travailler dans des entreprises qui ont intégré le fait que les incidents, notamment dues à des erreurs humaines, sont inévitables. Et que la meilleure façon d’en limiter l’impact est de partir du principe que les humains qui les ont causés ne doivent pas être « punis ».
Oui, c’est « normal » de péter la prod un jour ou de se planter sur la faisabilité d’une feature. Je ne connais pas de pros dans nos métiers qui n’ont jamais rien cassé.
L’important est de ne pas cacher ses erreurs et de tout faire pour y remédier. Ça veut dire communiquer rapidement, accepter sa part de responsabilité et surtout, demander/accepter l’aide pour arriver à corriger le tir.
Mieux, sauf malveillance ou je-m’en-foutisme (auquel cas vous méritez de prendre bien cher), ce n’est pas uniquement votre faute si ça arrive.
Si vous avez fait une action destructrice par erreur, c’est aussi parce que les parades/documentation/procédures automatisées n’ont pas été mises en place pour vous éviter de la faire. Si vous avez mal chiffré un projet ou une tâche, c’est aussi parce qu’on vous a mal accompagné pour le faire (ou que les spec sont pourries).
Tout ça c’est sur le papier.
Malheureusement, je suis conscient qu’il existe encore beaucoup d’entreprises ou simplement de managers qui ne l’entendent pas de cette oreille, et vont encore chercher des coupables. Cependant, dans un marché en tension comme le nôtre, je ne saurai que trop vous conseiller d’aller voir ailleurs. Aujourd’hui vous pouvez vous permettre de changer de boite. Les opportunités sont légions, les entreprises peinent à recruter.
Un jour ça changera et le marché se tendra dans l’autre sens (comme c’est déjà arrivé plusieurs fois en 40 ans). Et ce jour là, croyez-moi, vous n’avez pas envie d’être encore dans l’entreprise qui cherche des coupables en cas de problèmes.
Apprenez à dire « non »
jesuisundev a fait un article là dessus intitulé C’est la faute du développeur et je suis pas d’accord avec un point précis de l’article (même si je sais que je prends trop l’article au premier degré).
Je vous laisse aller le lire car d’accord ou pas, c’est intéressant et très bien raconté, mais ce que j’en retiens de son message c’est :
- lui junior, son chef de projet a vendu monts et merveilles au client avec un deadline intenable
- ledit chef de projet s’est tourné vers jesuisundev et l’a convaincu de le faire quand même
- pendant des années il en a voulu au chef de projet qui l’a mis dans cette situation
- avec le recul, il se « rend compte » qu’en fait c’était sa faute, que c’est lui qui aurait du savoir dire non
A moins d’avoir un melon à la Elon Musk, dire NON quand on est junior, c’est juste impossible.
Relisez les paragraphes juste au dessus. On sort d’école, on sait rien faire. On a l’impression que les autres sont des génies qui savent tout et/ou apprennent en un rien de temps. On peine à trouver sa place dans une entreprise (voire dans la société au sens large ?).
Quand un sale type vient vous convaincre de faire sauter le contrôle qualité et bosser tout un week end non stop en jouant sur vos sentiments, ça ne peut pas être (uniquement) de votre faute. En revanche, là où il a totalement raison, c’est sur le fait qu’il aurait fallu (dans un monde hypothétique et merveilleux) dire non.
Les calculs sont pas bons Kévin
Il va donc falloir apprendre à (quand et comment) dire « non » car c’est hyper important. Mais c’est difficile, et même avec de l’expérience, des fois, on y arrive pas.
Et c’est normal.
Apprenez à communiquer
Vous allez me dire que « forcément » en tant que bloggeur depuis 2010, mon avis sur la communication au sens large est biaisé, mais je pense qu’une majorité de professionnels de l’informatique sous-estiment gravement l’importance de bien communiquer.
Je suis intimement convaincu que c’est une des « soft skills » les plus sous cotés (même si ça change un peu).
Apprendre à communiquer pour moi c’est :
1) Communiquer permet de convaincre
Ce qui me frappe le plus dans les relations parfois tendues entre Dev et Ops, c’est cette absence d’empathie (la capacité à s’identifier à quelqu’un, à ressentir et partager ses émotions).
Certains devs sont incapables de se mettre à la place des Ops, et inversement. Et remplacez Dev ou Ops par QA ou UX et vous verrez que ça marche aussi, c’est marrant, hein ?
Non, c’est pas marrant…
D’expérience, il suffit d’aller demander qu’on vous explique pourquoi l’équipe d’en face à besoin de quelque chose qui vous hérisse le poil, puis ensuite, expliquer pourquoi vous avez vous besoin d’autre chose pour que les gens se mettent à chercher des solutions ensemble.
C’est juste incroyable la simplicité de la solution.
Parler. Expliquer ses problèmes. Écouter (et comprendre) ceux des autres.
In-cro-yable.
2) Écrire de la doc, diffuser la connaissance
Ne vous rendez pas irremplaçable. De toute façon, vous ne le serez pas : personne ne l’est.
Ne gardez pas une compétence/un savoir pour vous. Transmettez votre savoir par écrit ou par oral. Commentez votre code, écrivez des docs d’architecture et des docs d’exploitation. Faites des réunions pour présenter les outils que vous mettez en place ou les technos que vous avez PoCé.
Oui, ça prend du temps, ça bouffe la « vélocité » à court terme.
Oui, ça peut paraître tentant de se dire qu’on est le seul à savoir faire une chose précise et que la boite dépend de soit. Moi ça me fait flipper, mais bon chacun son kiff…
Mais s’il n’y a que vous qui savez comment réaliser une tâche particulière dans votre entreprise, les gens passeront leur temps à vous demander de le faire. Vous n’aurez jamais de temps pour progresser et apprendre autre chose, ou juste faire des trucs intéressants.
Parallèlement, l’entreprise elle, gagne des gens beaucoup plus autonomes dans les tâches annexes, qui ne se bloquent pas entre eux et donc avec une meilleure productivité. Quand vous « perdez du temps » à partager vos connaissances, vous en gagnez pour votre « vous du futur » ET pour le reste de l’entreprise.
Et je ne compte plus le nombre de fois où je retombe sur mes propres docs / propres articles de blogs quand j’ai un problème (que je ne me souvenais parfois même plus avoir résolu X années plus tôt).
Rendez vous service à vous et à votre boite, le karma vous le rendra.
3) Communiquer, c’est sortir du rang.
Je travaille dans l’entreprise où je suis actuellement en partie parce que je sais bien montrer ce que je sais faire. Cet effort que je fais pour montrer que j’existe, que je fais des choses (avec passion), m’a apporté (sur un plateau) un meilleur job.
Et ce n’est pas « injuste » par rapport à quelqu’un qui serait techniquement plus doué (ce qui reste à définir) et qui ne saurait pas se vendre. Je vous l’ai prouvé dans les paragraphes précédents : savoir communiquer, c’est un atout important pour vous, comme pour votre entreprise.
J’assume que ça me mette en avant par rapport à d’autres.
#DesoPasDeso
Vous ne devez rien à votre employeur/vos collègues
Ne vous sentez pas prisonnier d’un poste par loyauté envers votre employeur ou vos collègues.
Si vous avez une opportunité pro ailleurs, ne vous sentez pas coupable de quitter votre employeur. Même s’il « vous a tout donné » ou « donné votre chance quand personne d’autre ne voulait de vous » ou encore « que vous êtes une famille ».
Les entreprises vous feront parfois ce discours moralisateur. N’en tenez pas compte.
On travaille dans une industrie où votre travail rapporte infiniment plus qu’il ne coûte. Si votre employeur ne sait pas vous retenir (job pas intéressant, salaire pas à niveau, conditions de travail qui ne vous conviennent plus), c’est souvent qu’il n’a pas fait l’effort de s’en donner les moyens.
Et inversement, le jour où vous aurez besoin d’un job et que ce n’est pas dans leur intérêt, beaucoup d’entreprises n’auront magiquement plus du tout ce discours « Umaniste » (pun intended). La crise COVID l’aura bien prouvé, avec les ruptures illégales de période d’essai à l’annonce du confinement et autres joyeusetés.
De même, si votre équipe est dans la panade et que ça va être « chaud de ouf si vous partez », ne restez pas pour sauver l’équipe / le projet. Oui, on peut être pote avec ses collègues, mais on ne leur doit rien pour autant. Vous avez le droit de chercher une vie meilleure/qui vous convient mieux ET de rester ami avec eux.
Évidemment, tout est une histoire de mesure. Je ne vous conseille absolument pas de changer de taf tous les ans. Mais pour autant, si vous avez atteint le bout, ne vous mettez pas de barrière imaginaire supplémentaire.
Respectez vos valeurs
Ce paragraphe, je l’ai laissé à la fin car c’est le plus important. C’est MA plus grosse erreur.
J’ai donné une partie de ma vie pro à une entreprise où j’ai été témoin, direct ou indirect de :
- harcèlement moral
- agissements sexistes
- humiliations collectives
- mises au placard
- menaces de la part d’un supérieur à un salarié qui demandait un temps de repos (obligatoire) après une astreinte compliquée
Aujourd’hui, même si cette époque me parait bien loin, je regarde dans le rétroviseur avec amertume.
A l’époque, je pensais à tort que c’était comme ça partout. Que personne ne respectait la loi et que ça serait pareil, voire pire, ailleurs. Je pensais que si je sortais du rang, ça se saurait et personne ne voudrait plus m’embaucher.
C’est faux. Si vous êtes témoin de ce genre de comportements, agissez.
Parlez en à votre manager, décrivez par écrit aux RHs ce que vous avez vu, parlez en aux représentants du personnel, allez voir un syndicat (oui je sais, dans l’IT c’est un gros mot, et pourtant, ils aident) et « if all else fail », faites un signalement à l’inspection du travail (de préférence pas anonyme).
A minima, quittez l’entreprise en question, le plus vite possible.
Oui le monde de l’informatique est petit, surtout en région, mais vous ne vous grillerez pas, et vous devez faire quelque chose.
Conclusion
Bon… maintenant que j’ai bien cassé l’ambiance, n’oubliez pas qu’on a la chance de faire un métier où :
- on peut apprendre quelque chose de nouveau tous les jours
- on a le droit de se tromper
- on a le droit de dire non
- on peut avoir un équilibre vie pro/vie perso
Donc, je vous souhaite, comme à mon habitude : have fun!