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Moi aussi, je suis un imposteur

Ecrit par ~ zwindler ~

Un petit mot sur cet article

Au moment où j’ai écrit cet article, je n’avais aucune intention de le poster. Je l’ai écrit à chaud, un soir début 2021, en me disant que je ne le posterai jamais.

Que c’était donner le bâton pour se faire battre. Qu’on se rendrait (enfin) compte que je suis un imposteur.

Après l’avoir écrit, ça allait déjà beaucoup mieux. Ecrire, ça aide à mettre de l’ordre dans les pensées. Ça fait du bien.

Du coup, je me suis finalement dit que d’autres qui ressentent la même chose pourraient se dire, en me lisant « Je ne suis pas seul ! ». Lire, je pense ça peut aussi faire du bien.

Note : C’est très personnel comme article. Si ça vous intéresse, voilà donc le texte en question.

Note 2 : J’ai essayé de ne pas trop toucher au texte initial pour ne pas le dénaturer a posteriori (j’ai corrigé quelques fautes, changé une ou deux tournures, ajouté une blague).

[DEBUT du texte écrit début 2021]

Hashtag ma vie

Il y a peu, j’ai commencé en tant que « Senior SRE » dans une boite connue dans la tech française. J’en suis hyper fier. Vraiment !

Je suis fier de tout, dans ce poste :

  • Fier d’être SRE, car c’est la reconnaissance que mon métier d’aujourd’hui est plus subtil que rebooter des serveurs hier (ce que j’ai fait pendant un certain nombre d’années).
  • Fier d’être dans la boite tech en question. J’ai envie de dire que c’est un fleuron de la tech française. Ce n’est pas le leader du marché (et de loin), mais je m’en fiche. Comme dirait Bruno Lemaire, « J’suis français. P**ain c’est la classe ! » (sic). Ouais, je suis un peu chauvin, désolé 🤷.
  • Fier d’être considéré, avec ma petite douzaine d’année en poste, comme « senior » (oui, dans l’IT, ce n’est pas un gros mot).

J’étais (et je reste) hyper motivé.

Mais je suis complètement dépassé

Dès les premiers jours, j’ai pris une grosse (grosse) claque. Le contexte n’a pas aidé (COVID, full remote alors que je n’en avais jamais fait), la prise de poste a été très rude.

Les premiers jours, je patauge dans git, que je pensais maîtriser mais que je n’avais finalement jamais réellement pratiqué.

Pour un « SRE », avouez que ça la fout mal !

Heureusement, je ne fais pas « trop » de trucs crades (ouf) et n’ai pas eu à faire de rebase compliqué, sans quoi j’étais fichu…

Les semaines suivantes, je suis affecté, seul, à un projet critique et sur un sujet que je pense maîtriser (alors qu’en fait, non) : réussir à dépatouiller une situation compliquée sur un cluster Kubernetes qu’on a « un peu laissé dans son coin ».

Je me suis vendu comme “expert Kubernetes”, donc j’assume avec fierté (orgueil ?). Je me porte même volontaire.

Je me mets une pression de dingue. J’ai décrété (égo) que j’y arriverais sans aucune interruption de service, malgré un trafic web important (web public) et un contexte logiciel que je découvre juste et des contraintes que j’ignore encore.

Et si jamais je n’avais pas été capable de livrer à ce niveau de qualité, je n’aurais pas trouvé ça acceptable. J’avais DÉCIDÉ que ça serait comme ça, pas autrement.

Et ça a marché

Mission accomplie.

Là encore, heureusement (miraculeusement ?), j’ai réussi. Après 3 mois d’apnée, je sors la tête avec un cluster de prod hors de danger et 0 downtime côté utilisateur final.

Mais à quel prix ? Je n’ai pas participé au reste de la vie de l’équipe. Côté stack logicielle et infra, je ne me suis que peu intéressé au legacy que je découvre encore aujourd’hui.

Le soir, je me sens vidé, mentalement. Je n’ai plus envie de m’occuper de l’infra de la maison. Je ne teste plus de nouveaux projets le weekend.

Je ne suis pas du tout dégoûté de mon métier pour autant (c’est ma passion), ni en burnout (je fais des horaires tout à fait raisonnables).

C’est juste super intense.

Le blog tombe à l’abandon, avec un article par mois au lieu d’un par semaine. Et encore, je me force à publier mes brouillons inachevés, surtout. Sans ça, il n’y aurait eu aucun article en 6 mois.

Principe de Peter

Avez-vous déjà entendu parler du principe de Peter ? A la base c’était une blague qui disait que :

  • un employé compétent à un poste donné est promu à un niveau hiérarchique supérieur
  • un employé incompétent à un poste donné n’est pas promu à un niveau supérieur, ni rétrogradé à son ancien poste ; Corollaire :
  • un employé ne restera dans aucun des postes où il est compétent puisqu’il sera promu à des niveaux hiérarchiques supérieurs,
  • par suite des promotions, l’employé finira (probablement) par atteindre un poste auquel il sera incompétent, par son incompétence à ce poste,
  • l’employé ne recevra plus de promotion, il restera donc indéfiniment à un poste pour lequel il est incompétent ; (cf Wikipedia)

Au-delà de la « blague » initiale de son auteur, je trouve qu’il y a un fond de vérité dans ce « principe ».

J’espère très très fort ne pas être arrivé à mon seuil d’incompétence. Je suis vraiment obligé de mouiller la chemise au quotidien.

Fini les 12 ans de ClubMed.

Je voulais du challenge ? Me voilà servi. Je voulais apprendre tous les jours ? Et si on commençait déjà par les bases qui me font défaut, en fait ?

Moi, versus tous les autres ?

Si encore je vivais tout seul dans une grotte, passe encore… Mais je suis entouré de gens extrêmement compétents/brillants que j’admire.

Mon meilleur ami d’enfance est un développeur backend hors pair, qui au delà de son métier de dev, maîtrise Linux depuis son adolescence, à l’aise avec l’Ops, etc.

Dans nos discussions, dès qu’on s’aventure hors de ma zone d’expertise, difficile de donner le change. Lui, ne semble jamais être dans cette posture. Des fois, je préfère éviter de donner mon avis plutôt que risquer de passer pour un c**…

Un ancien collègue déployait des clusters Kubernetes et de la supervision Prometheus avec du code qu’il patchait lui-même pour résoudre nos problèmes internes. Il ne connaissait pas Go ? Qu’à cela ne tienne, 2 jours plus tard, il envoyait ses premières PRs sur le repo officiel de Prometheus.

Moi je me contente de pauvres petits bouts de code Python…

Game level : Insane

Mais là, on est vraiment encore un cran au-dessus. J’ai l’angoissante impression qu’il y a des dieux de l’informatique dans TOUTES les équipes !

Un jour, c’est un développeur Backend qui m’explique des principes de perf dans Kubernetes, entre le café et 2 lignes de code pour créer un petit tool multi-message-brokers pour load tester les différentes solutions qu’on envisage.

Hashtag trivial LOL

Le lendemain, c’est l’ingénieur réseau qui nous débloque d’un énorme souci de performance sur Prometheus alors qu’il n’en a quasiment jamais fait. Et moi qui pratique depuis 2 ans, j’ai surtout l’impression de faire le canard en plastique (cf méthode du canard en plastique/rubberducking pour ceux qui ne connaissent pas).

Même parmi les juniors de l’équipe, j’ai parfois l’impression qu’ils maitrisent mieux certains aspects de Linux que moi

Wait… wat?

En vrai, c’est pas étonnant. J’ai passé relativement peu de temps à faire du Linux dans ma carrière.

En gros, j’ai bossé là où j’ai pu, et c’était pas fun tous les jours. Diplômé en 2010 (en plein crise économique), le taf d’admin système était vraiment rare pour un jeune diplômé, à Bordeaux. Du coup j’ai fait un peu de tout…

Du VMware, du Nagios, de l’administration sous Windows (desktop ou server), de l’Unix propriétaire et de l’administration de baies de stockage. Des trucs qui ne me servent plus à rien aujourd’hui (mais qui traînent encore sur le blog)…

J’ai racké physiquement des serveurs, conçu des salles serveurs, fais des présentations pour que les décideurs comprennent à quoi sert Docker et des tableurs pour comparer objectivement des offres d’intégrateurs…

Désolé pour les pros du cable management, je sais que c’est cracra…

Mais du coup :

  • Quand il faut débugger à coup de strace, tcpdump, pprof ou configurer linux avec des paramètres un peu exotiques, je suis loin d’être “le kernel le plus plus optimisé du tiroir”…
  • Quand il faut coder un tool ad-hoc qui s’intègre avec la stack legacy pour tester des outils du marché, je ne sais pas par où commencer…
  • Quand je débugge un problème compliqué et qu’un collègue dont c’est ni le boulot ni la spécialité trouve la solution avant moi…

Ben… Déjà que je me sens bof légitime en tant que « SRE »… alors oser me présenter « senior » ?

Tous les jours, j’ai l’angoisse d’être démasqué.

Pourtant, personne ne s’en rend compte !!!

Le plus incroyable dans cette histoire, c’est que je rame, je rame, mais que personne ne semble s’en rendre compte ! Les gens ont même l’air plutôt content de mon travail.

Ok, j’ai pas fait de grosse connerie, mais bon… encore heureux non ?!

Je suis lent… mais les gens s’en satisfont ?

L’image qu’on a de moi

(Ou que je pense qu’on a de moi ?)

D’abord, j’ai acquis au fil des années une petite « image » publique. Rien de fou : j’écris sur ce blog, je fais partie de plusieurs communautés et j’ai fait quelques confs.

Rien à voir avec vos « créateurs de contenu préférés » bien sûr (je ne vais pas citer de nom, mais je suis sûr que vous en avez en tête, ceux avec des milliers/centaines de milliers de followers).

Mais à Bordeaux (réel microcosme où tout le monde se connaît), on commence à me (re)connaître un peu.

J’explique des trucs simples, je travaille pour que ça soit le plus accessible possible. Du coup, les gens s’imaginent que je sais de quoi je parle.

Je pense qu’il s’agit d’un biais cognitif (effet de halo peut être ?) qui fait que, parce que je suis un peu plus visible que la moyenne, on a tendance à m’accorder une plus grande compétence que ce que j’ai réellement.

C’est pas légitime et ça renforce ma conviction que je suis un imposteur.

Peut-être aussi parce que je compense ?

En un peu plus positif, je compense grâce à d’autres compétences :

Je ne code pas super vite, mais j’essaye de faire propre et je ne fais pas deux fois la même erreur.

Je documente, mais aussi je communique sur ce que je fais (cf ce tweet de Work Chronicles.

Je sais écrire un billet de blog professionnel en français/anglais correct ou faire une belle présentation.

Je sais expliquer ma mission, mes besoins, mes contraintes à des interlocuteurs, francophones ou anglophones, même à l’oral. Je suis à l’aise pour présenter quelque chose à des VIPs (i.e. sans perdre mes moyens).

J’ai une connaissance généraliste sur un grand nombre de sujets. Je ne suis expert de rien, mais je connais un peu de tout. Quand je ne connais pas un truc, je sais où chercher.

J’ai l’habitude de voir toutes sortes de logiciels/d’infras. Je vois les problèmes potentiels quand on me montre une architecture, je suis pertinent dans une réunion de conception.

[FIN du texte écrit début 2021]

Finalement, suis-je si nul ?

Je l’ai dit en introduction, rien que d’écrire l’article, ça allait déjà un peu mieux. J’ai donc décidé d’en rester là sur le moment, et j’ai repris l’article aujourd’hui, quasiment 2 ans plus tard pour y ajouter l’introduction et cette conclusion.

On est humains, avoir des doutes c’est normal et probablement inévitable pour la majorité d’entre nous, même “séniors”. Clairement, j’ai l’impression que mes 12 ans d’expérience ne m’ont pas aidé à ne pas me sentir “nul”.

Savoir que le syndrome de l’imposteur existe n’est pas suffisant pour ne pas se sentir imposteur. Et changer de poste, c’est parfois une grosse claque.

Je terminerai sans vraiment conclure par ça, qu’il faut, comme le dit David Whittaker, régulièrement prendre un peu de recul. Être honnête avec soi-même ET avec les autres (ne pas TROP se sous-estimer / les surestimer).

Source David Whittaker sur Twitter

Si vous voulez aller plus loin, vous pouvez aussi (re)regarder le talk d’Aurélie Vache : Tips pour combattre le syndrome de l’imposteur.

Bonus : à propos de mon (plus si) nouveau job

Quand bien même c’est un challenge, je suis toujours aussi content de mon choix.

Je travaille avec des gens géniaux, motivés, qui ont énormément à m’apprendre.

Si je suis honnête avec moi-même, j’ai probablement aussi réussi à leur transmettre quelques trucs, même si ce n’est pas forcément là où j’imaginais avoir de la plus-value initialement. J’en parle dans mon post Mes conseils pour les nouveaux entrants dans l’IT.

Je suis objectivement au poste où j’apprendrais probablement le plus de chose dans le temps le plus court.

Ça force à rester humble (comme disait Montaigne, « que sais-je ? ») et je pense que c’est une bonne chose. Si vous en avez l’opportunité, visez ce genre de postes.

Note finale : depuis, je fais moi aussi du Go mais j’ai toujours peur quand je fais des git rebase

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