Vous avez peut être déjà vu passer sur les réseaux sociaux, ce clip vidéo tiré d’une scène de la série “Sous influence”, ici diffusée par Arte.
x.com/ARTEfr/status/1837159789631005154
À chaque fois que je vois passer le clip, je suis fasciné, figé, incapable de détourner le regard de la vidéo. Cette réaction me ramène à une expérience vécue qui m’a marqué pendant plus de 15 ans.
J’ai hésité à poster cet article au format “blogpost” car c’est une anecdote très personnelle, douloureuse, et aussi parce que certaines personnes proches risquent de la découvrir via ce post, car j’en ais finalement plus parlé sur les réseaux sociaux qu’à mes proches. Pas par honte, juste parce que je ne vois pas trop comment j’aurais pu aborder ça dans un diner en famille…
Warning: couteau, violence
Les JDRs, c’est le mal m’voyez
Inutile de tourner autout du pot.
Quand j’étais jeune adulte, lors d’une soirée de jeu de rôle entre amis, un copain a soudain attrapé un énorme couteau (bien réel) et a mimé le geste de m’égorger.
Une mauvaise blague, un geste qui se voulait drôle sur le moment (mais qui n’a fait rire personne).
Comment on réagit dans ce genre de conditions ? Impossible de généraliser, mais dans mon cas, mon corps n’a pas réagi comme j’aurais pu le penser à l’époque.
Je me suis figé, incapable de bouger, et même une fois la blague terminée, je suis resté silencieux, et on en a plus reparlé pendant des années.
Conséquences
On en a plus reparlé, certes, mais les conséquences psy elles, étaient bien réelles.
Pendant des années, dès que quelqu’un prenait un couteau à moins de cinq mètres de moi, je redevenais cette version paralysée de moi-même, tétanisé.
Mes yeux restaient rivés sur la lame, impossible de bouger, et ce même si c’était un proche en face de moi, même si le couteau n’était pas particulièrement tranchant. Même quand c’était ma femme.
Tourner le dos à la lame ? J’en étais incapable, même en faisant des efforts mentaux considérables.
Même en parler était difficile et j’ai mis des années à en parler avec ma femme (que je ne connaissais pas à l’époque).
Et aujourd’hui ?
Il m’a fallu environ quinze ans pour que cette réaction s’atténue. Aujourd’hui, si quelqu’un coupe du saucisson à côté de moi (mon côté franchouillard), je ne suis plus figé de la même façon. Je ne me sens plus automatiquement en danger, je peux tourner le dos et même ignorer le couteau.
Ca va mieux.
Le plus fou peut être dans cette histoire, c’est que mon ami, celui qui a fait cette “blague” au couteau, ne s’en souvenait même pas.
Quand je lui ai raconté cette réaction à un repas, des années plus tard, il était d’abord incrédule (d’autres personnes présentes à ces deux soirées lui ont confirmé que c’était bien arrivé), puis dévasté, incapable de croire qu’il m’avait fait vivre cela.
Je n’ai jamais ressenti de rancune envers lui : c’était vraiment une (très très) mauvaise blague, réalisée sans intention malveillante. C’est resté un ami, et aujourd’hui, je peux même dire qu’il y a eu une happy end.
Réflexion sur l’instinct de survie et les violences, en particulier les VSS
Si je partage cette anecdote, c’est aussi parce qu’elle soulève des questions que l’on entend souvent face aux récits de violences sexuelles :
- Pourquoi elle ne s’est pas défendue ?
- Pourquoi elle n’a rien dit sur le moment ?
- Pourquoi elle en parle maintenant (en sous texte, c’est un complot) ?
On entend souvent parler de “fight or flight” en réaction à un danger, mais il existe deux autres réactions, moins connues et pourtant tout aussi naturelles : notamment le freezing, rester figé (la dernière étant fawn). Comme je l’ai vécu face à cette “mauvaise blague”, l’instinct de survie peut déclencher une paralysie totale, une impossibilité d’agir, même si la situation en soi n’était dans mon cas pas réellement dangereuse.
Note : en vrai, si vous connaissez un peu les faits divers autour du JDR, ça aurait pu (mais ça reste de l’ordre du fait divers).
Maintenant, imaginez la réaction d’une victime face à une réelle agression.
Loin d’être une faiblesse, cette réaction est un réflexe biologique, une réponse instinctive face à l’inconnu et à la peur. Remettre en question la réaction d’une victime, c’est ignorer toute la complexité de ces mécanismes de survie.
Comme on dit sur Facebook : “ça fait réfléchir”.